Le néolibéralisme : un État régalien puissant au service du marché

Pierre Le Bec
13 min readFeb 20, 2021

Le “progrès” selon Hayek se réalise à travers le “sacre” du marché. Les “agents économiques” disposent d’une intelligence supérieure générant une structuration de la société conforme aux attentes des différents individus. Or, le progrès n’est pas venu des individus, mais d’un ensemble d’individus. Dès lors se trouve une confrontation abyssale entre la position d’un individualisme permettant le progrès et dans le même temps demande toujours plus d’efforts afin d’y parvenir.

La position holistique a tendance à horrifier une partie de la pensée économique dominante. L’individualisme serait d’une certaine manière la congratulation d’une société où l’individu est la source de la doctrine actuelle. Penser au travers de l’individu permet d’une certaine manière de se défaire des différents courants philosophiques qui prônent à juste titre le bien-être de la société primant sur le bien-être des individus. Toutefois, cette perspective ne semble guère échapper à la position de la structure régalienne de la société. La structuration d’un individu autour d’une philosophie, d’un parti politique ou même d’un pays laisse entrevoir selon Hayek les prémices d’un totalitarisme.

Ainsi, la doctrine défendue par Hayek et consort se base sur le fait que la gestion étatique de l’économie entraîne inexorablement le pays sur les chemins du totalitarisme. Ainsi, le nazisme fut un keynésianisme à la sauce hitlérienne. De part cette affirmation, il tend à mettre en avant que toute politique ne mettant pas en avant les “libertés économiques” est vouée à sombrer d’une manière ou d’une autre dans la spirale infernale du totalitarisme.

Face à cette vision calomnieuse et archaïque qu’on lui doit, il y a une autre forme bien plus grave qui reste sous-jacente : le néofascisme. Il s’agit de la version remodelée du fascisme, mais dans sa forme néoclassique. La question de la structure régalienne de l’État demande une croissance importante des moyens mis à disposition afin de défendre les “libertés économiques”. Dès lors, la position illibérale repose sur les doctrines défendues par Hayek. De ce fait, il semble cohérent de souligner que le néolibéralisme n’est pas une idée nécessairement “démocratique”, mais une pensée utilisant toutes les stratégies pour arriver à sa mise en place. Il semble nécessaire de rappeler que la dictature chilienne sous Pinochet fut soutenue par l’École de Chicago. Ainsi, la question de la démocratie apparaît comme secondaire dans le projet néolibéral. Elle peut exister tant qu’elle ne gêne pas les “libertés économiques” et les “marchés” de s’autoréguler.

La position demande dès lors une structure régalienne, particulièrement forte et autoritaire afin de mener des politiques antisociales et impopulaires. La conséquence demande dès lors une augmentation du budget militaire et sécuritaire afin de protéger les effets des réformes structurelles, mais aussi de protéger la notion même de l’État. La démocratie encombre foncièrement le grand projet néolibéral puisqu’elle permet de créer des mécanismes de contrôle des différents gouvernements. En sabotant ces derniers, des personnalités comme Donald Trump, Jaïr Bolsonaro ou Viktor Orbàn démontrent le stade ultime de la pensée néolibérale. Le néofascisme devient dès lors un courant de pensée flexible à toutes les démocraties. Le danger résulte dans le fait qu’il se base sur des personnalités avec un charisme important alors qu’en sous-marin : la bourgeoisie tire les ficelles de ce qui peut paraître le mieux pour elle. Toutefois, la “révolution néolibérale” ne serait qu’une façade de la “révolution néoconservatrice”.

Dans le cadre d’Emmanuel Macron, nous avons vu un gouvernement se réclamer du progrès, mais tomber factuellement dans le “néoconservatisme”, notamment depuis la crise économique et sanitaire. L’amorce d’une vision allant vers l’extrême-droite se concrétise désormais par la reprise de sujets et d’opinions tendancieuses qui ne fait pas partie de ses bagages doctrinaux. La vision de “la réaction” s’opère progressivement palier par palier. La démocratie ne résulte uniquement que d’un outil permettant aux réactionnaires d’appliquer un programme taillée sur-mesure pour la bourgeoisie. La “révolution” promise ne fut rien d’autre qu’une transformation de la société vers une société régalienne où la structure étatique n’a que pour objectif final de permettre le bon fonctionnement des différents marchés.

La crise sanitaire offre également un point de vue fort intéressant dans la mesure où elle se concrétise par le maquillage d’une stratégie sanitaire défendable aux différents abords, mais si l’on creuse plus profondément ou qu’on enlève le maquillage alors il s’avère qu’une grande partie de la gestion de la crise sanitaire provient des mesures prises ces quarante dernières années. Que penser de la politique de l’offrande ? Certains économistes ont vu rouge l’augmentation du déficit public cette année. Pourtant, Emmanuel Macron n’a fait que répondre à l’appel du patronat. Le déficit et la dette publique ne sont que les conséquences du néolibéralisme. En renforçant sans cesse “le marché” lorsque celui-ci s’effondre, il y a une mesure fondamentale au néolibéralisme de venir au secours du marché ce que ne l’était pas la version classique du libéralisme qui se basait sur le “laisser faire”.

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Au XXIe siècle, les Versaillais avaient une position plus radicale puisque le favori à la présidence de la République était François Fillon. Suite à ses déboires avec la Justice et les affaires politico-médiatiques, la bourgeoisie a trouvé un autre candidat moins conservateur, mais tout de même adapté à la tâche qu’il incombe de souligner de déstructurer la République Sociale. Ainsi, Emmanuel Macron n’a été qu’un vote par dépit, mais il n’est qu’une façade de l’Histoire.

Si Hitler, Mussolini, Franco font encore rêver les nostalgiques des régimes autoritaires à “parti unique”. Cette forme de fascisme n’est pas tenable à l’ère du numérique. Le totalitarisme de l’entre deux guerres appartient désormais au passé. Ainsi, il semble convainquant d’admettre que les personnes dépitées de la démocratie parlementaire peuvent trouver une “troisième voies”, mais en utilisant les chemins démocratiques et se conformant aux différentes règles de la Constitution. Dans ces conditions, la défense de la Constitution se réalise également à travers la cour suprême pour les pays qui en ont une ou dans le cas de la France à travers le Conseil Constitutionnel.

Les néofascistes ont compris qu’au XXIe siècle la démocratie se doit d’être une illusion pour renforcer la bourgeoisie et le patronat. La petite-bourgeoisie ou classes moyennes devient un enjeu majeur pour ces derniers puisque la réserve de bulletin de vote qu’elle représente reste considérable. Dès lors, la politique des classes moyennes détermine la manière, dont le néofascisme montre son programme. Elle doit être la grande gagnante des politiques structurelles que les néofascistes veulent mettre en place. Les néofascistes ont une vision plus large puisqu’elle défend les “classes moyennes” sous couvert d’une politique sociale.

Gare au fascisme du XXIe siècle qui se maquillera d’une autre façon que l’a été son ancêtre au début du XXe siècle après la première guerre mondiale. Il en reste pas moins que cela peut surprendre, mais les projets d’un point de vue strictement économique entre le fascisme et le néofascisme n’ont rien à voir ensemble. La question du renouvellement du corporatisme pour l’un et la remise en place de la question du libéralisme pour l’autre aboutie à une forme où la question de l’État prend tout son sens.

Le “sacre du marché”, notamment au niveau du marché du travail tend à faire croire les intérêts du patron s’avèrent être les mêmes que ceux de ses employés. Une vision qui s’opère au sein de la société à travers les réformes successives du Code du Travail que cela soit par l’utilisation du 49.3 ou des ordonnances. La vision autoritaire pour aboutir à ces différents changements sociétaux apparaît comme une nécessité absolue. Les gages de la démocratie à travers le vote de l’Assemblée Nationale ne permettent pas pour autant de traduire une vision où l’émancipation du salarié est l’objectif. Dans le cadre actuel, le vote n’est qu’une façade pour permettre à la majorité de verdir son caractère démocratique.

La gestion du néocorporatisme s’orchestre également par la division syndicats— travailleurs. Les uns sont accusés de défendre les politiques patronales, ce qu’il s’avère vrai pour les “syndicats réformistes” puisqu’ils sont devenus un gage pour le “dialogue social” à la Française. Le néolibéralisme a besoin de ces syndicats en gage de bonne foi des travaux mis en évidence.

Dans le dualisme qui s’opère, le “syndicalisme révolutionnaire” tel qu’il est nommé par les dirigeants est vu comme un “facteur exogène” et “dangereux” pour les entreprises. La vision de la société défendue s’inspire, notamment dans le cadre de la CGT ni plus, ni moins que celle du socialisme et plus loin du communisme.

La Charte d’Amien (1906) proclame cependant une indépendance vis-à-vis des partis politiques et des sectes. Dans le combat pour le droit des travailleurs et le progrès social, la CGT a su se mobiliser et faire avancer les avancées sociales.

De nos jours, il existe un procès politique et diabolique de faire passer les “progressistes” pour des “conservateurs” et les “conservateurs” pour des “progressistes”. La stratégie agite également la peur du “chômage”. Or, comme le disait si bien Karl Marx : “les chômeurs sont l’armée de réserve du capital”. Un pays a besoin de chômeurs pour permettre la soumission des salariés au patronat au risque de voir un licenciement et de rejoindre “cette armée de réserve”.

Dans le même temps, il y a une détermination chez les néolibéraux à croire que le chômage structurel serait un chômage volontaire. Emmanuel Macron a affirmé qu’il suffisait de traverser la rue pour trouver un emploi. Dans ce contexte, les chômeurs sont pénalisés de la raréfaction du travail liée à la révolution numérique, mais aussi des nouvelles méthodes de travail.

Pourtant, les avancées majeures ayant conduit à un progrès ne viennent pas du “marché”, mais des luttes sociales et du “syndicalisme révolutionnaire”. Dans ce cadre, le néolibéralisme peut se réclamer du progrès, mais ses aïeux les plus orthodoxes n’ont rien permis de se créer uniquement au travers du marché, il a fallu l’intervention soit de l’action syndicale ou soit étatique.

Sans le progrès social lié à l’action syndicale, la France serait toujours au XIXe siècle. La volonté de faire sortir la France de son siècle pour l’amener vers des siècles antérieurs semble s’avancer comme une stratégie de jeu d’échecs.

Pourtant, il y a une détermination bien réelle de la part de ceux qui nous gouvernent avec l’aide des “syndicats réformistes” et des différents syndicats patronaux. Le néolibéralisme a besoin d’un soutien structurel de l’intérieur pour mettre en œuvre les réformes demandées par le “marché”, mais aussi par la “Commission Européenne”. La vision d’une société moderne passe également par le soutien des syndicats au sein de l’appareil régalien vis-à-vis du pouvoir. On confiera que le “dialogue social” au niveau des “pseudos-syndicats” (dont les soutiens se réalisent au sein de l’extrême-droite) des forces de l’ordre et de la “place Beauvau” est extrêmement efficace. Lorsqu’il s’agit de répondre aux demandes de ceux qui maintiennent le néolibéralisme, le tapis rouge est déroulé.

Il semble nécessaire d’avancer que la politique antisyndicale s’inscrit dans une vision clairement antirépublicaine et anticonstitutionnelle. Il est vrai que la Constitution, cela se modifie par une simple loi constitutionnelle et une majorité des trois cinquièmes au Congrès de Versailles sans passer par le chemin référendaire. Autrement dit, il suffit d’atteindre à un certain seuil pour que le chemin d’une réforme constitutionnelle soit adopté. Dans les temps, qui courent, il serait très facile pour faire adopter des lois répressives changeant frontalement le visage de la République.

Lorsque durant la primaire de la droite et du centre, nous avons vu des candidats prôner l’interdiction stricto sensu du syndicalisme. Le risque de voir apparaître des lois antisyndicales demeure omniprésent. Dès lors, la République s’abime progressivement face à cette tentative d’instaurer un putsch juridique.

Actuellement, les entreprises et les actionnaires tentent de semer la terreur au sein des salariés pour légitimer des politiques antisociales et la répression contre ceux qui agiraient contre les intérêts du patron ou des actionnaires de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. La volonté de faire disparaître l’inspection du travail s’enracine dans un souhait profondément centraliste où les décisions seraient prises directement depuis le cabinet de la ministre du travail.

Dans ces conditions précises, il s’avère également qu’il y a une volonté chez les néolibéraux de refonder le “pacte républicain” afin de l’amener sur une autre forme de gouvernance tout en restant dans la Cinquième République. Ainsi, la sauvegarde des valeurs républicaines passe également par l’attachement au syndicalisme et en particulier le “syndicalisme révolutionnaire”.

L’appétit de l’appareil régalien pour défendre les intérêts d’une minorité n’a jamais été aussi intense. La puissance de son action demeure pourtant la viabilité et son emprise sur nos vies. Le contexte permet clairement de faire apparaître un binôme : “liberté et sécurité”. Or, cette Loi de 1981 sous Valéry Giscard d’Estaing témoigne tout de même d’une vision en avance sur son époque, mais qui s’inscrivait précisément dans le slogan ultra-conservateur que “la sécurité est la première des libertés”. Dans ce contexte, nous assistons progressivement à une tentation d’encadrer un “modèle de société” où tout ce qui n’est pas soumis à la question du “marché” est encadré par l’appareil exécutif.

La position de défendre l’appareil régalien comme un bijou précieux permet entre autres de s’assurer d’un certain souverainisme vis-à-vis des autres pays, mais aussi d’imposer une certaine marque de fabrique dans le cadre de la concurrence inter-étatique y compris au sein du marché unique. Ainsi, il fallait imposer par tous les moyens des formes nouvelles d’une gouvernance dans laquelle les marchés économiques y retrouvent leurs comptes. La volonté de combattre les “Droits de l’Homme” et les “Libertés Fondamentales” s’opère dans une stratégie où ils sont vus comme des entraves majeurs à la création de richesse.

Dans le même temps, la montagne abyssale de l’endettement privé créant des bulles spéculatives, dont l’effondrement déstabilise l’ensemble de l’économie tout comme celui du public lié en grande partie à la financiarisation, mais aussi au fait d’obliger les pays à emprunter directement sur les marchés au lieu d’emprunter via leur banque centrale respective.

Le tour de vis qui va s’opérer les années à venir risque de créer un séisme si profond que l’économie mettra plusieurs décennies avant de s’en remettre, mais elle poussera de nombreuses personnes à la banqueroute et à la faillite. L’époque dans laquelle nous vivons reste très sensible et vacille très rapidement. Le néolibéralisme est appuyé par un gain considérable de “la bourgeoisie” surtout en période de crise économique. La machine régalienne, toutefois, suffira-t-elle à bloquer la route à un vaste mouvement venant des tréfonds de la société demandant une sortie par le haut du modèle actuel ? Cela risque de voir une partie de la société s’en prendre directement aux instances régaliennes, c’est-à-dire pour les conservateurs s’en prendre directement à la République et à son idéal. Le “marché” ne permet pas de contenir sa violence à l’égard d’une partie de la population. De ce fait, il semble nécessaire pour “la bourgeoisie” d’abrutir considérablement par le matraquage audiovisuel des doctrines maccarthystes et foncièrement réactionnaires.

L’effraiement de Karl Marx et du communisme conduit de nombreux Américains à voter pour le parti “Républicain”. À force de construire une dialectique fondée sur le fait que les “communistes” ou “socialistes” voleront, la propriété privée (notamment foncière), mettront au chômage les individus, etc. Tout cela se construit sous le “modèle néolibéral” et en particulier lorsque les “Républicains” sont au pouvoir en cas de crise économiques et financières. Dernièrement, sous la présidence de Donald Trump, des dizaines de millions d’Américains ont été licenciés sans ménagement du jour au lendemain. De ce fait, la “peur rouge” reflète surtout un dogmatisme de l’infiltration du deep state par les communistes et les socialistes. Alors que nous sommes sorties de la “guerre froide”. Peut-être faudrait-il sortir de son tiroir un peu poussiéreux les premières pages de l’un des livres le plus lu.

Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre
Karl Marx — Manifeste du Parti Communiste (1847)

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Le spectre de la gauche radicale s’imprègne dans les esprits d’une partie de la population y voyant une nature de déconstruire profondément la question régalienne afin de mettre en place la “société de demain” à savoir “le monde d’après”. Les partis communistes se sont réformés et sont devenus des partis sociaux-démocrates pour la plupart d’entre eux. Il s’agit pour eux de créer des réformes sociales avec l’appuie des syndicats et des organisations salariales.

Pourtant, la “peur rouge” continue de persévérer dans les esprits et cela se traduit par des débats inutiles comme celui à propos de l’islamo-gauchisme, dont l’objectif n’est autre que d’aboutir à un maccarthysme en France des universitaires, des étudiants et des salariés se revendiquant des courants communistes ou y étant proche. Dans ces conditions, il s’avère que nous allons tout droit vers des “lendemains qui déchantent”. La bourgeoisie se protège de l’extrême-droite par des thèses de l’extrême-droite. Le néofascisme agité par Marine Le Pen se met progressivement en place sous Emmanuel Macron. Ainsi, ceux qui se revendiquent étant de centre-droit comme Gérald Darmanin appartiennent en réalité à l’extrême-droite classique.

Le néolibéralisme sème la “pomme de la discorde” pour passer en force des mesures impopulaires tout en abandonnant une partie de la jeunesse estudiantine qui n’en peut plus de la crise économique et sanitaire. Toutes les propositions progressistes sont rejetées les unes après les autres. Ainsi, nos aspirations ne rentrent pas dans leurs différents logiciels. Les matrices qui sont utilisées actuellement permettent d’utiliser l’argent du contribuable pour servir les premiers de cordée et les grandes entreprises. Pendant ce temps-là, les plus précaires font la queue devant les banques alimentaires sans être assuré de recevoir un précieux colis permettant de tenir quelques jours de plus.

La septième puissance économique se retrouve dans une situation où le déficit public est capable de s’envoler à des hauteurs qu’il n’a jamais atteintes en trouvant de l’argent magique, mais n’est pas capable de garantir la survie des plus précaire. Le flouze coule à flots chez les plus aisés. Les fonctionnaires régaliens ne sont pas plus inquiétés de leur situation, les augmentations ne tarderont pas à se traduire par des primes et des augmentations de salaires.

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Pierre Le Bec
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Blogueur & Journaliste indépendant | Militant Communiste