Pierre Le Bec
9 min readJan 16, 2021

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La relance économique est une “revanche keynésienne”

Hayek voyait dans l’intervention étatique une sorte de salade propice au pire gouvernement, dont le nazisme ne fut dans les faits qu’un keynésianisme totalitaire.

Il en va de même en ce qu’il concerne les politiques progressistes permettant l’émancipation de l’individu par le collectif. Le nazisme tout comme le stalinisme a été vu comme le résultat d’un Etat omniprésent dans les affaires privés. Pour maintenir les “libertés économiques” considérées comme le “Saint-Graal” des libertés individuelles, toutes les politiques devaient aboutir à un résultat où le marché donnerait la clef pour résoudre les problèmes de fond, même les plus complexes. Le règne de l’individualisme ou hyperindividualisme devait permettre d’aboutir à la résolution de toutes les crises et d’ouvrir par le marché la voie du progressisme.

Dans le Monde Libre, nous avons appris à subir un système qui met en compétition les uns aux autres afin que nous en tirions le profit maximum. La clef de la réussite dans notre monde ne vient pas de l’esprit collectif, mais du surpassement individuel. Dans cet état d’esprit, l’individualisme méthodologique s’est enraciné dans une société qui pensait que l’ensemble des politiques devait partir aux besoins des individus pour résoudre l’ensemble des besoins de la société. De telle sorte que les caractéristiques modernes posent de sérieuses questions sur la question même de l’individu.

On constate que cette forme d’individualisme tend à être noyé dans un flot contradictoire notamment dans la gestion de la crise dans une époque malheureuse où nous vivons à l’heure de l’évolution de la crise sanitaire. Il semble nécessaire d’affirmer que plus rien ne sera comme avant.

Ceux qui ont agité par tous les moyens la “main invisible” d’Adam Smith se retrouve confronté face à un mur où l’individu rationnel n’est plus en mesure de prendre des décisions permettant d’améliorer le “bien-être” de la société.

La liberté comme un moyen d’émancipation individuel à travers notamment les libertés économiques ont conduit de nombreux économistes dans les pas d’Hayek à croire que l’hétérodoxie s’inscrivait dans une sorte d’hérésie économique, mais aussi que cela mettait en danger les démocraties parlementaires et occidentales. Le fait de créer un Etat Fort intervenant dans tous les domaines de la vie privée ne pouvait s’inscrire dans une voie où “les libertés économiques” étaient considérées comme un droit constitutionnel. Tout ce qui nuisait à la “libre circulation des capitaux” comme celle des “marchandises” devait être suspendu afin de créer une concurrence toujours plus forte afin d’améliorer le sort de la société et de conduire vers le progrès.

La question du néolibéralisme a tout de même conduit de nombreux pays dans une sorte de ruine économique. L’endettement des pays ayant suivi les différentes stratégies d’Hayek comme Friedman s’est soldé par une hausse conséquente. La question des cycles économiques n’a guère été résolue dans leur système puisque leur axiome principal part de la base que les crises sont liées d’une manière ou d’une autre à un manque de réformes structurelles libéralisant la société. Rothbard comme Spooner avant lui est allé jusqu’à remettre la légitimité de l’Etat.

Les sociétés se libéralisent les unes après les autres selon les différentes mandatures dans les différents pays ont tous connus des cycles de crises plus rapprochés les unes entre elles, des périodes d’expansion plus brèves et une hausse conséquente de l’endettement publique. Les politiques d’austérité et de rigueur budgétaire ont d’ailleurs ralenti sérieusement la croissance et provoquer une explosion du chômage.

Dans le même temps, les économistes néoclassiques ont tenté de verrouiller le débat macroéconomique en faisant certaines allusions à l’encontre de la démocratie. Persuadés que leurs théories s’inscrivaient dans une logique quasiment de l’ordre du divin, il aura fallu attendre en Europe l’arrivé de Varoufakis en tant que ministre de l'Économie et économiste lui-même pour remettre de l’ordre dans une Europe où l’orthodoxie s’avérait être une position cohérente. Pendant l’ère de Tsipras en tant que Premier ministre de la Grèce sous l’étiquette de Syriza, des controverses ont permis de voir jusqu’où les partisans de l’orthodoxie budgétaire étaient prêts à aller pour asseoir une doctrine appartenant au passé.

Dans les faits, les partisans de l’orthodoxie budgétaire sont capables d’aller jusqu’au coup d’Etat afin de réinstaurer une sorte d’équilibre moral et le retour des valeurs fondamentales des “Républiques”. La question de la guerre civile ne semble guère les choquer au nom de la défense de la propriété privée et de l’ordre moral. Le “bruit des bottes” se fait entendre partout où la Troïka est passée. En Grèce, au nom du vote des mémorandums, des mesures draconiennes ont été prises pour priver les helléniques de l’outil majeur de l’économie à savoir la monnaie. Les Khmers Bruxellois avaient essayé d’abolir la monnaie pour faire pression sur un tout petit pays. Il n’y a guère de démocratie dans les vagues des ayatollahs de l’orthodoxie budgétaire.

La question de la synthèse néoclassique doit être soumise à différentes discussions tout comme les néo-keynésiens ont adapté leur système macro-économique afin qu’il puisse affronter les différentes crises et soient cohérent avec le but principal : sauver les économies et le capitalisme. Le capitalisme est un géant avec des pieds en boue. Il ne tient structurellement que par la force de travail des salariés.

En raison de la fragilité du capitalisme tout comme les différentes théories qui le définissent et le structurent dans le temps, il semble nécessaire d’adapter un point de vue qui diffère avec celui de la synthèse néoclassique. Dans ce cadre, il semble difficile de croire qu’il existe encore de nombreux partisans adeptes de la “main invisible” d’Adam Smith. La règle selon laquelle les marchés seraient en mesure de résoudre les problèmes les plus complexes que l’Etat n’est pas en mesure de résoudre.

L’ouverture des différents services publics à la concurrence et au privé s’inscrit dans cette logique incroyable. Plus près de nous, il y a la question du transfert d’un monopole public vers des monopoles privés alors que cela va à l’encontre même du capitalisme néolibéral. Il existe une incohérence de fond en ce qu’il concerne des nouveaux libéraux.

Ainsi, la bataille du rail a laissé place à un véritable jeu où la concurrence libre et non faussée ne s’applique pas en tout point. Les différentes mesures issues du Thatcherisme semblent avoir la côte pour le moment de ce côté de la Manche, mais les temps désenchanteront très vite lorsqu’ils verront que le secteur privé n’est pas en mesure d’assurer une mission de service public dans une autre optique que celle de la maximisation du profit.

La question ne semble guère être évident, mais les premiers concernés s’avèrent être les usagers des transports en commun. Il est vrai que les différents “paquets ferroviaires” ne viennent pas forcément de la doctrine du néolibéralisme à la Française, mais bien de la Commission européenne afin d’aligner les différentes lois au sein des pays membre. Il s’agit de revenir sur une époque antérieure à la création à la nationalisation du rail.

Pendant que le rail est détricoté de toute part, notamment à travers les “bus Macron”, il semble nécessaire de comprendre qu’il existe dans ce domaine des monopoles privés qui se sont réunis s’inscrivant de fait dans tout ce qui apparaît comme une concurrence qui n’est pas libre et reste entièrement faussée. Ce quiproquo entre promouvoir une société où le privé détiendrait une majorité des parts et le public n’aurait que le rôle régulateur de la concurrence s’inscrit dans la durée.

Les économistes néoclassiques sont en train de conduire les différents pays vers une catastrophe qui n’a pas de nom sous prétexte de réaliser des économies de structure. La question qui interviendra dans le modèle d’un néolibéralisme s’inscrit dès lors jusqu’où, ira-t-il, mais aussi jusqu’où est-il capable de tenir ? Pour le moment, le capitalisme français est un capitalisme sous perfusion de l’argent public à travers les différentes aides et les niches fiscales. Si la théorie de l’École de Viennes était appliquée, on pourrait réaliser plus de 10% d’économie sur la dépense budgétaire et transformer l’ensemble dans une baisse de la fiscalité sur le long terme, voir même de créer un paradis fiscal au sein de l’Union Européenne afin d’être plus compétitif. Pourtant, ce n’est qu’un rêve.

Les entreprises vivent sous perfusion et sont incapables de mettre en pratique les politiques néolibérales. La question du réinvestissement des dividendes par les actionnaires ne tient également qu’à un seul fil puisque le but de l’actionnaire n’est pas de réaliser du mécénat, mais de dégager des bénéfices avec un ratio très important entre la somme qu’il dégage et la somme initiale. Dans cette crise sanitaire et économique, les employeurs ont différents leviers pour sauvegarder leurs entreprises, mais aussi dans de détruire une partie du savoir faire de leurs employés. Cela réside dans les plans de licenciement de façon massive. Sous la fin de l’ère Trump, on estime que 12 millions de travailleurs ont été mis à la porte comme remerciement afin de sauver les entreprises d’une destinée plus rude et plus difficile.

En réalité, les entreprises ne tiennent que par la question la dette publique et privée. Différentes bulles spéculatives peuvent se créer tout comme les “fonds vautours”, dont l’objectif ne tient qu’à piller les différents fonds de ces entreprises au lieu de les développer structurellement afin de dégager sur le long terme des bénéfices supérieurs que ceux qui sont engrangés sur le court terme.

S’il faut lire absolument la Théorie Générale de Keynes comme un chef d’œuvre, dont les principales critiques proviennent de personnes ne l’ayant pas lu et encore moins étudiées.

Le caractère holistique des politiques publiques ne fait guère de doute. Il s’agit de mettre fin à la décennie ratée par la ‘crise économique des subprimes’, de la dette souveraine, etc. La crise sanitaire apporte également son lot de faits que l’on pourrait transcrire comme des valeurs fondamentales. Toutefois, la crise sanitaire cache derrière elle une crise économique, dont la nature sera nettement supérieure à celle de 1929 au vu de l’effondrement de la richesse créée dans de nombreux pays, dont la France et les Etats-Unis d’Amérique.

Nous assistons progressivement à la “revanche de Keynes” si on peut l’appeler ainsi. L’économiste a tant fait pour réformer le capitalisme en profondeur afin de lui donner une certaine cohérence, mais aussi de donner des contrepoids afin qu’il ne s’effondre pas sur lui-même comme un château de cartes. Au moment de l’apogée des politiques prônant l’orthodoxie libérale à travers un dégraissement massif via des réformes structurelles importantes et une libéralisation partout où c’était possible, la crise économique a rabattu les cartes tout comme le débat macro-économique. Les principaux défenseurs du néolibéralisme ont vu leurs théories s’effondrer rapidement, mais aussi que l’approche de l’individualisme méthodologique ne pouvait durer dans le temps au vu des différents comportements individualistes mettant en danger l’ensemble de la société.

La détermination de personnes nostalgiques de l’époque de Hoover ou de Milton Friedman constitue toutefois une ligne très franche entre les progressistes et les conservateurs. La méthodologie employée par les réactionnaires ne s’adapte pas en période de crise pour redresser l’économie de leur pays. Au contraire, il s’agit d’envoyer leur économie comme si elle était le Titanic qui fonçait tout droit devant un gigantesque iceberg en laissant les marchés s’ajuster et continuer leur routine sans tenir compte des millions de personnes qui sont licenciés, dont la sécurité financière devient dangereuse. Autrement dit, il s’agit d’un égoïsme fondamental puisque ces économies ne redémarrent pas où comme une vieille locomotive à vapeur n’ayant pas fonctionné depuis des années.

La crise sanitaire a démontré des éléments d’une importance capitale pour l’écriture de l’Histoire actuelle du monde moderne. Les individus ne sont guère en mesure d’être responsable d’eux-mêmes vis-à-vis de situation dramatique comme celle que nous vivons. Nous avons besoin d’un Etat qui joue le rôle de régulateur.

Les différentes mesures de prévention prônées par les gouvernements des pays occidentaux se sont vite retrouvées face à de l’irresponsabilité de la part de personnes auxquelles les libéraux y attachaient une importance majeure. De ce fait, une nouvelle vague avec des vaguelettes est toujours d’actualité. La notion de “responsabilité individuelle” pour générer une “responsabilité collective” intervient dans un moment où l’individualisme se résume à semer le chaos et le désastre sur fond d’obscurantisme.

Sur le plan économique, les différents pays prennent le chemin de relance budgétaire mettant fin à des périodes d’austérité budgétaire puisque ces derniers sont financés à travers des emprunts sur les différents marchés financiers. Il existe d’autre part une nature construite par les avantages accordés aux classes les plus aisés de l’existence de ces déficits budgétaires. L’ère post-COVID devra être intransigeant sur les différentes questions des niches fiscales, des impôts et des taxes afin de réduire le déficit public tout en faisant cotiser les plus fortunés à la charge du redressement de l’économie mondiale.

Nous assistons progressivement à la grande revanche de Keynes par rapport à l’orthodoxie libérale.

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Blogueur & Journaliste indépendant | Militant Communiste